English version here Nous autres français avons un bon paquet de métaphores et de bons mots pour insérer (oups…) des sous-entendus salaces dans nos conversations quotidiennes. D’habitude, ça me fait rire. Mais malgré des années de pratique, à vivre en compagnie de mes chers concitoyens, je ne m’attendais pas à trouver ce genre de sous-entendus dans une nécrologie. Le 21 décembre de l’année dernière, Madame Claude est morte à l’âge de 92 ans. Son nom me disait carrément quelque chose. J’ai appris plus tard qu’elle avait été la plus célèbre proxénète que la France ait connue: elle avait été à la tête d’un réseau de femmes qui satisfaisaient les besoins de nombreuses personnalités, en général riches et influentes. On compte parmi ces personnalités (en tout cas d’après d‘assourdissantes rumeurs) : J.F.K, Mouammar Kadhafi et Marlon Brando. Mais, ce jour-là, lorsque j’ai aperçu cette nouvelle faire apparition dans mon fil d’informations, je ne savais pas encore qui était Madame Claude. Ce qui a attiré mon attention, c’est le titre donné à l’article : Madame Claude, la célèbre proxénète, a cassé sa pipe à l’âge de 92 ans. Je me suis dit qu’il s’agissait là d’une manière bien cavalière d’annoncer la mort de quelqu’un. Ai-je besoin, par ailleurs, de rappeler dans quelle expression sexuelle française le mot “pipe” fait érection, euh irruption ? Bref, lorsque cette nécrologie pour le moins originale a surgi dans mon fil, j’ai froncé les sourcils face à cette association lexicale douteuse entre les mots proxénète, “pipe” et la notion de mort. Et j’ai cliqué. L’article s’est ouvert et j’ai pu immédiatement constater que le titre avait été changé (bien qu’il n’avait pas encore changé dans l’aperçu de l’article) : le sous-entendu fellacieux avait été remplacé par un très sobre “est décédée”. Cependant, dans le corps de l’article, le festival de bons mots se poursuivait. La première phrase de l’article mentionnait fort à propos que le 21 décembre était la Journée de l’Orgasme, et annonçait ensuite que Madame Claude a rejoint (le septième?) ciel”. Lorsque l’article se mettait à réciter le nombre de fois où Madame Claude avait été poursuivie et emprisonnée, je décelais une certaine insistance sur le fait qu’elle avait pris ses jambes à son cou et que le jour de son arrestation elle avait été encore une fois menottée On note que l’impertinent billet conclut alors que Madame Clause a "poussé", probablement dans un glorieux soulagement, “son dernier souffle”. De déception, je me souviens avoir fait glisser mes doigts encore et encore (oups) sur mon pavé tactile. Ca y est, c’était fini ? Cette femme, qui était née dans l’Entre-Deux-Guerres, avait quitté sa ville de naissance avec un gosse dans l’utérus au sujet duquel aucun homme n’avait jugé bon de se manifester. Elle s’installa donc à Paris seule avec son enfant et adopta un nouveau prénom, de genre neutre (Claude). Elle construisit un réseau de 500 femmes, parmi lesquelles de nombreuses ex-modèles. Elle les habillait en Dior et en Vuitton et vendait leurs services aux riches, aux célèbres et aux puissants du monde entier. A sa première condamnation, elle prit la fuite à Los Angeles et vécut là-bas une belle vie. Elle rentra en France un an plus tard, fut appréhendée, mais essaya de bâtir un nouveau réseau dès sa sortie de prison. En plus de tous les secrets qu’elle a toujours refusé de révéler au sujet des hommes influents qui profitaient de ses services, elle ne dit jamais rien de vrai au sujet de sa vie. La plupart des choses que nous “savons” à son sujet a en fait été inventée par elle. Moi, j’ai encore pas mal de questions qui me trottent dans la tête au sujet de cette femme. Qui était le père de son enfant ? Etait-elle amoureuse ? Etait-il amoureux ? Pourquoi a-t-elle changé son nom ? Pourquoi s’ingéniait-elle à s’inventer une vie qu’elle n’avait jamais vécue ? Pourquoi et comment était-elle devenue proxénète ? Ca faisait quoi d’évoluer dans les coulisses du monde à une époque sans internet ni omniprésence médiatique ? Qui étaient les femmes qu’elle réduisait à la servitude ? Etaient-elles réduites à la servitude ? Que ressentait-elle pour elles ? Que ressentaient-elles pour elle ? Cette femme a peut-être été une horrible personne. Ou peut-être pas. Si ça trouve, elle a ruiné la vie d’innombrables femmes. Ou peut-être que “c’est compliqué”. Mais bon sang, il y a sûrement une histoire à raconter derrière tout ça, non ? Une histoire de femmes, de sexe, d’argent, de crime et de malheur. On a fait des films de ce genre d’histoires. Des livres ont été écrits. Al Capone, Jack l’Eventreur, Charles Manson, John Dillinger. Alors c’est quoi le délire avec ces sous-entendus pourris ? C’est quoi le délire avec ce silence assourdissant, ces blagues molles, ces tentatives inexistantes d’en savoir plus sur qui elle était ? Est-ce parce que Madame Claude était une femme, et que les femmes criminelles (à l’exception de Bonnie), ça se vend mal ? Est-ce parce que derrière l’infamie du réseau de Madame Claude se cache une plus grande infamie, celle des hommes qui se servaient ?
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