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Les "Nous" Possibles #1 - Golden, B.C.

28/6/2015

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Golden, BC.
La porte claqua à nouveau, suivie du crissement des bottes maculées de neige sur le paillasson de l'entrée. Iorek s'étira et bailla longuement, et attendit patiemment, tandis que Caroline déposait les sacs de courses, deux par deux, sur le sol de la cuisine. Lorsque la jeune femme releva la tête, les joues rougies à la fois par le froid de l'extérieur et la chaleur de la maison, Iorek ronronna. 
- Bonjour jeune homme, pas trop fatigué je suppose ?

Iorek aimait la façon dont Caroline s'adressait à lui, quel que soit ce qu'elle put lui dire. Voilà deux ans qu'il vivait ici, et rien ne pouvait aller mieux. C'était chez lui, et pour le chat qu'il était, ça voulait tout dire. Il aimait le vaste plan de travail de la large cuisine, la véranda du salon, tout en verre et en bois, la mezzanine de la chambre et son grand matelas confortable posé sur un simple tapis de lin, la porte au fond du hall d'entrée qui donnait sur l'atelier puis sur le café où il était toujours bien accueilli par les habitués. 

Il aimait ce café. La baie vitrée à large rebord qui permettait d'observer la rue tout en prenant le soleil. Les coussins des canapés à droite de l'entrée, élaborés avec de vieux pullovers à l'odeur familière et agrémentés de quantité de boutons aussi inutiles que faciles à attraper. Les odeurs du matin, oatmeal fumant, œufs frits, au plat, en omelette, pochés ; toasts, café, thé glacé au ginseng, céréales à la cannelle. Rien qui puisse l'allécher, mais il y avait quelque chose de familier, de confortable et d'excitant dans le mélange quotidien de toutes ces odeurs à la fois, tous les matins, à la même heure.

Le ding-ding du premier client passant la porte, le grat-grat de la spatule sur les plaques de cuissons en train de pré- chauffer, le shh-shh de la cafetière remplie de café maison, et la voix ni trop aiguë ni trop grave du présentateur radio annonçant « And now the weather forecast, rise and shine Golden, B.C. ! ».

Caroline s'assit à la table de la cuisine et tira vers elle le bol qu'elle avait posé là en partant. Iorek passa du radiateur à la table tandis que Caroline se versait une portion de Cheerios. Comme à chaque fois, quelques anneaux tombèrent sur le côté et il était tacite entre la jeune femme et le chat que ces anneaux étaient pour lui. Puis vint le moment de dépelliculer un pot de yoghourt tout neuf. Sitôt la pellicule d'aluminium retirée, la jeune femme en versa une dose généreuse dans son bol. L'odeur parvint alors à Iorek, et l'informa du parfum de la semaine : blueberry ! Tandis qu'il lappait sommairement l'aluminium, Iorek ronronna. Il aimait ce rituel du matin: tous les matins, à la même heure. 
Celle où Audrey ouvrait la porte vitrée du No-Eye Deer Café, et où la première bouffée de café frais s'échappait dans la rue givrée. Pour John Jefferson Smith, c'était le signal d'une journée qui commence comme il se doit: un café et son assiette de petit déjeuner. Il pouvait manger en discutant avec Audrey, du temps, du dessert du jour et de la toiture au-dessus de l'atelier, qu'il avait réparée la saison précédente. Iorek ne serait pas encore dans la salle ; c'était l'heure où il partageait avec Caroline un bol de céréales.
Puis, un café à emporter pour le garage. L'année n'avait pas été très bonne. Kamloops devenait une ville sans charme mais pratique, une ville où l'on réside, où l'on envoie les enfants à l'école et où s'installent des concessions automobiles ayant leurs propres équipes techniques. Golden devenait un point secondaire sur la carte, destiné aux touristes trop désargentés pour se payer une chambre en demi-pension à Lake Louise.
 
Le vieux Smith poussa la porte d'entrée. Audrey lui tournait le dos et tranchait le pain qui avait fini de cuire le matin même.

- Salut J.J. !

Le vieux Smith embrassa la salle du regard. Les miettes du pain tranché sur le comptoir, et un vieux journal posé sur le rebord de la fenêtre, les mots fléchés à moitié entamés. Les cheveux d'Audrey étaient relevés comme toujours, roux au-dessus de son tablier rouge.
***
Deux toasts, deux œufs, un café, un petit bol de cottage cheese. Il observa son assiette. Il aimait voir fumer son café, le matin, à cette table, dans cette tasse. A ce moment précis.
***
Caroline ouvrit la porte donnant sur le café, Iorek sur ses talons. Les premiers œufs avaient cuits. Le vieux Smith sourit. Caroline sentit qu'elle avait interrompu une conversation. Quelque chose d'agréable sûrement: le pain aux graines servi par Audrey la semaine dernière ; le froid lumineux qui les a saisies sur le pas de la porte ce matin ; le yoghourt séché sur les moustaches du chat. Des détails. 

Audrey sourit. Caroline s'arrêta sur les petites rides qui se creusaient au coin de ses yeux, lorsqu'elle souriait comme ça, bouche fermée, tête penchée, sourcil levé. Alors c'était ça. Ce détail. Dix ans cette année. Chaque jour un peu plus, pour en arriver là, ici précisément. Ce sourire. Dans ce café. Elle voulut l'enlacer, immédiatement. Ce moment allait passer. Il était peut-être déjà passé. La peur soudaine qu'il ne revienne plus. Quelle intensité, dans ce sourire ! 

–  ...et tu pourras venir récupérer le cuir. 
–  Quoi ?
–  Le cuir, je t'ai fait une pile.

Après dix ans, elle en était encore là. A se perdre dans ce sourire, à fixer bêtement son visage, comme une adolescente à qui l'on voudrait mettre des claques. Elle hocha la tête. L'air interrogateur d'Audrey. 

– Je vais à l'atelier.

Iorek était déjà dans les coussins.
C.I.D

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