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L'Effet Trump

23/2/2017

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Sara D. Davis/Getty Images
Nous avons élu notre lot de gouvernements populistes récemment en Europe, et il y a des chances pour que ça ne soit pas fini. Mais il faut bien avouer que l'élection de Trump aux Etats-Unis a eu une intensité et une visibilité toutes particulières.

Plein de gens différents ont voté pour lui, pour des raisons très différentes : précarité, peur, volonté de changement à n'importe quel prix, vote partisan, sentiment d'abandon, vote anti-establishment... Mais au-delà de ses électeurs, Trump est un archétype.
Il est le parangon d'une posture et d'une attitude que moi (je sais pas vous) je ne supporte plus depuis son élection. Ce type a siphonné ma patience envers tout un pan de mes propres concitoyens, parce qu'il nous montre ce qui arrive quand certaines idées sont mises sur un pied d'égalité avec toutes les autres, dans une grande foire aux valeurs où les liquidations succèdent aux soldes. (L'emprunt au lexique réactionnaire est totalement intentionnel, en doutiez-vous ?)

Chez moi (je ne sais pas chez vous), Trump a réussi le tour de force de transformer une colère émergente en une haine furieuse et malsaine, là où pourtant j'aurais juré mes grands dieux qu'un type comme lui ne trouverait pas sa place. 
Dans mon entourage, certains sont furieux comme moi, d'autres sont épuisés. Certains l'écrivent et le hurlent comme moi, d'autres quittent les réseaux sociaux pour se préserver. Mais partout autour de moi revient le même constat, la même fatigue lors des débats féministes, progressistes, écologistes, le même burnout humaniste lorsqu'il s'agit d'encaisser patiemment un discours anti-féministe, anti-progressiste, anti-écologiste de la part d'une personne aussi informée sur ces enjeux qu'Einstein l'était sur la taxation des tampons.

C'est ça, l'effet Trump.


J'ai fait de longues études, et je dirais que ce que j'en conserve aujourd'hui de plus précieux est une méthodologie de pensée, une discipline de travail toute particulière que j'essaie de transmettre à mon tour lorsque j'enseigne : lire beaucoup et de tout, recouper et vérifier les informations, et ne jamais présumer que "je sais". Il existe beaucoup d'autres moyens d'acquérir cette discipline. La curiosité et la soif d'apprendre  en sont les fondements, et dans mon cas, ils ont été aiguisés dans les rayons des bibliothèques et dans les espaces toujours trop petits qui séparent les rangées de pupitres.

On m'a appris à mener une guerre intérieure contre l'ignorance crasse et les préjugés dont nous sommes tou.te.s affigé.e.s. Et comme nous tou.te.s, il m'arrive d'échouer, parfois ou souvent, selon les thématiques et les enjeux. Mais j'essaie d'en avoir conscience en permanence, parce que mes études m'ont appris ceci : savoir que l'on ne sait pas, c'est précieux. C'est un rempart, c'est un gilet de sauvetage, c'est un phare pour naviguer en temps troubles.

Quand je rencontre quelqu'un qui a un point de vue différent, je me force à poser des questions pour en apprendre quelque chose. Quand j'entends une information nouvelle, je la recoupe et la vérifie. Quand je suis en désaccord, j'essaie de débattre avec l'esprit mais aussi avec le coeur, en proposant une tasse de thé.
Ce savoir-faire dans l'apprentissage (ce savoir-apprendre, en somme), il est essentiel. Certaines de mes opinions en ont été consolidées, d'autres profondément changées. Je ne pense plus comme il y a 5 ans, ni exactement comme il y a 1 an, ni même tout à fait comme il y a 1 mois. Le monde change à vitesse grand V et il est urgent d'apprendre.

Mais depuis quelques années, j'ai noté ce mur, en face. Chaque jour, chaque putain de jour (oui, les semaines me semblent longues), je tombe sur des gens pour qui ce savoir-apprendre, c'est du bullshit. Des gens pour qui mes questions, mes recoupements et vérifications, mes désaccords, sont (sic) "idéologiques". Tandis que leur point de vue à eux, évidemment, relève d'un bon sens tout citoyen, d'une saine démarche purement déductive qui se fonde sur ce qu'ils ont juste devant le bout de leur nez (c'est sûr que comme ça, ils ne peuvent pas se tromper).

Alors voilà. Lien de causalité ou de corrélation, je ne sais pas, mais depuis l'élection de Trump, je ne supporte plus ces gens, leur bon sens et leur saine démarche.

Je ne supporte plus l'ignorance crasse qu'ils étalent, comme s'il s'agissait d'une décoration militaire acquise sur le champ de guerre de la vie, une décoration où l'on peut lire en français à défaut de latin : "Je vis, donc je sais".

Je ne supporte plus leurs préjugés balancés à la gueule des autres avec une impolitesse cordiale, comme si ces préjugés étaient une marque de distinction.

Je ne supporte plus la raillerie que suscite chez eux l'engagement, le don de soi, le combat pour autrui, la lutte pour des droits dont on ne va pas bénéficier soi-même. Comme si le monde, pour eux, c'était une rue pleine de parcmètres, où payer pour la place de parking de quelqu'un d'autre relèverait de l'inattention ou du trouble cognitif.

Voilà des années que je me plains, comme un vieux rat de bibliothèque aigri, de cet avènement du populisme, de cette apogée du beauf, de cette glorification de la conclusion hâtive. De ces gens qui s'avancent vers vous, avec une morgue et une assurance toutes formidables, et qui, pétris de leur conservatisme discount et de leurs réflexions en carton, vont vous faire la leçon sur votre humanisme, votre écologisme, votre féminisme.

Ces gens, ils prennent une masse et mettent un bon coup dans votre lutte pour les droits des femmes, eux qui n'ont jamais mis les pieds dans la rue et qui se gavent chaque jour des droits acquis par d'autres.

Ces gens, ils mettent une baffe à votre écologisme, eux qui en sont au degré zéro de la prise d'information sur le sujet et qui ne prendront jamais le risque de s'informer. Mais pas de panique : si d'aventure ils se retrouvaient dans un duel à mort avec ces informations, ils vous parleront d'idéologie, en n'ayant aucune idée du sens réel de ce mot. Ils ne reconnaîtront pas que leur avis, laborieusement formé sans ouvrage ni débat, est la forme la plus ordinaire de l'endoctrinement.

Ils se gaussent de votre humanisme, en brandissant des chiffres imaginaires et en se fendant de petites phrases expertes sur ce qu'il est possible de faire ou pas, sur ce qui relève du rêve "gauchiste" ou au contraire du pragmatisme "droitier" (parce que pour eux tout est une question de droite ou de gauche), alors qu'ils n'ont jamais pris la peine de feuilleter un programme politique ou un traité de philosophie des idées, parce que dedans il y a "idées", comme dans "idéologie", et ils ne voudraient surtout pas devenir comme vous, c'est-à-dire endoctrinés.

Ces gens se plaignent souvent d'une "inversion des valeurs" tandis que comme des gorets ils s'empiffrent des débris de votre humanisme, de votre écologisme, de votre féminisme, qui viennent de tomber sous les joyeux coups de pelle du populisme ambiant.

Je ne trouve plus d'excuse à ces gens, parce qu'ils ne sont pas une masse homogène.

Ils n'appartiennent pas à une classe sociale, ce n'est donc pas une question d'argent ; ils n'appartiennent pas à une classe professionnelle, ce n'est donc pas une question de corporatisme ; ils n'appartiennent pas à un groupe confessionnel, il ne s'agit donc pas de fondamentalisme ; ils n'appartiennent pas à une tranche d'âge, ce n'est donc pas une question de "vieux" ou de "jeunes".

Ils sont éparpillés. Ils n'ont pas un visage, parce qu'ils sont chacun de nous. Ils sont ce qui arrive quand on oublie qu'on est ignorant.
C.I.D

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