English version published in Matador Network as "3 Women Travel Writers Who Made History"Même mon laptop est contre moi. En tapant "auteures baroudeuses" dans le titre de ce billet, la correction automatique voulait absolument que j'écrive "auteurs baroudeurs". Tandis que j'écris, les mots auteures et baroudeuses demeurent soulignés en pointillés rouges, comme autant de petites gouttelettes menstruelles. Hier mardi 8 mars, c'était la Journée Internationale des Droits de la Femme. Mes contacts sur les réseaux sociaux ont massivement partagé les biographies de femmes qui ont changé la science, la société, la politique, parfois enveloppées d'un silence assourdissant. C'est donc tout naturellement que mon article du mercredi leur emboîte le pas. Il y a eu des femmes auteures, il y a eu des femmes baroudeuses, mais il y a aussi eu des femmes auteures baroudeuses, des auteures de voyage, qui nous ont laissé des récits d'une grande valeur littéraire, sociologique et anthropologique. Les petits pointillés rouges qui entachent présentement mon brouillon sont une raison de plus pour moi de le rédiger jusqu'au bout et de cliquer sur "Publier". Je ne serai bien entendu pas exhaustive (si vous souhaitez une liste plus étendue, commencez par ici). J'ai choisi pour vous 3 femmes dont les écrits et les pérégrinations ont marqué l'histoire des récits de voyage, et parfois l'Histoire tout court. Dame Freya Stark (1893-1993) ![]() Freya n'a pas eu de chance étant gamine. Le mariage de ses parents n'était pas heureux, elle était d'une santé fragile et fut défigurée par un accident dans une usine lorsqu'elle avait 13 ans. Son échappatoire ? Les Mille et Une Nuits. Et Dumas, aussi. Elle se mit à apprendre toute seule le latin, le français, puis le persan et l'arabe. Une fois adulte, elle a pu transformer ses rêveries en réalité. Infirmière volontaire pour la Croix-Rouge britannique pendant la Première Guerre Mondiale, étudiante à la toujours très cotée Ecole des Etudes Orientales et Africaines de Londres (SOAS), elle embarque pour Beyrouth en 1927. Ce fut le début de sa carrière d'aventurière. En 4 ans à peine, elle entreprend trois treks extrêmement dangereux dans l'ouest iranien. En pénétrant dans des zones où aucun-e occidental-e n'avait jamais mis les pieds, elle fait la découverte de la Vallée des Assassins, ce qui lui valut en 1935 le prix Back de la Royal Geographical Society. Son journal de voyage "La Vallée des Assassins" décrit ses pérégrinations, affublée d'une équipe de guides peu motivés, tombant malade, cherchant à tâtons des lieux d'une grande importance historique et mythologique mais n'apparaissant pas sur les cartes. Suite à cela, elle arpente le sud de l'Arabie et produit de nombreux récits, à nouveau récompensés par la Royal Geographical Society. La Seconde Guerre Mondiale l'amène à travailler pour les services de renseignement en Syrie et plus largement en Arabie, où son rôle est de persuader les forces locales de combattre pour les Alliés. Elle se marie à l'âge de 54 ans mais se sépare de son mari au bout de 5 ans. Elle se met alors à explorer longuement la Turquie, puis l'Afghanistan alors qu'elle était âgée de presque 80 ans. Elle fut nommée Dame Commander de l'Empire Britannique, et décéda peu après son 100ème anniversaire. Je me disais l'autre jour que la solitude est le besoin le plus profond de l'esprit humain, besoin qui n'est jamais reconnu à sa juste valeur par les codes de notre société. On le dénigre comme une pénitence ou une sévère discipline de vie, mais jamais comme l'ingrédient indispensable d'une vie quotidienne agréable. C'est de ce manque de reconnaissance que provient la moitié de nos ennuis domestiques. (Dame Freya Stark dans "La Vallée des Assassins". Traduction personnelle.) Mary Wollstonecraft (1759-1797) ![]() Morte à 38 ans, Mary a laissé un héritage impressionnant pour une vie si courte. Précurseure des mouvements féministes, défenseuse des droits des femmes, ses écrits recouvrent un large éventail de thématiques, de l'histoire de la Révolution française aux pamphlets féministes (Défense des Droits de la Femme), en passant par un livre pour enfants et un récit de voyage, Lettres écrites lors d'un court séjour en Suède, en Norvège et au Danemark. C'est la raison de son voyage en Scandinavie qui frappe l'historien : elle part littéralement pour le compte de son amant français Gilbert Imlay, à la recherche d'un navire contenant un trésor volé. Elle part dans l'espoir de retrouver un équilibre dans cette relation qui battait alors sérieusement de l'aile. Elle fut amèrement déçue, et son récit mêle descriptions des paysages qui l'entourent et réflexions personnelles sur sa relation et ce qu'elle ressent. C'est sa rhétorique et son style narratif qui donnent toute sa portée à ce texte : de ces pensées intimes naissent des réflexions sur le rôle de la femme dans la société, sur celui de la Raison dans les rapports entre l'humain, la société et la nature. Son approche romantique de la nature lui vaudra l'admiration sans bornes de nombreux auteurs masculins et inspirera des noms comme Southey, Wordsworth ou Coleridge. Après deux relations amoureuses libres, dont celle avec Gilbert Imlay (avec qui elle eut tout de même une petite fille), elle épouse le philosophe William Godwin, précurseur du mouvement anarchiste, qui vouait une grande admiration à ses écrits. Mary tombe enceinte d'une seconde fille. Lors de l'accouchement, le placenta se rompt et s'infecte. Mary mourra d'une septicémie après plusieurs jours d'agonie. Des années plus tard, la petite fille en question prendra comme nom de plume Mary Shelley et écrira Frankenstein. L'Angleterre et l'Amérique doivent leur liberté au commerce, qui a créé un nouveau genre de pouvoir censé défaire les systèmes féodaux. Mais qu'elles se méfient toutes deux des conséquences : la tyrannie de l'argent est encore plus exaspérante et avilissante que la tyrannie du rang. (Mary Wollstonecraft, "Lettres écrites lors d'un court séjour en Suède, en Norvège et au Danemark". Traduction personnelle.) Rose de Freycinet (1794-1832) ![]() Rose ne voulait pas quitter son mari et son mari ne voulait pas la laisser, ni prendre le risque de ne jamais la revoir. Il se trouve qu'ils s'aimaient vraiment, ces deux-là. Pourtant, peu l'auraient parié : issue de la classe moyenne, née d'un père dont la postérité n'a pas retenu le nom et d'une mère directrice d'école, Rose épouse en 1813 un aristocrate dont le rang surpasse largement le sien. Cet aristocrate est Louis de Freycinet, le navigateur, celui qui a, dix ans plus tôt, cartographié quelques côtes australes. En 1817, Monsieur doit embarquer bientôt pour l'Amérique du Sud, dans le cadre d'une expédition scientifique sponsorisée par la Marine française et le Ministère de l'Intérieur. Effrayés par le destin de prédécesseurs morts ou retenus au cours de leurs expéditions et ainsi condamnés à abandonner leurs épouses, les deux tourtereaux élaborent un plan pour le moins culotté. Puisqu'il était hors de question que Rose accompagne son mari à bord du navire Uranie (les femmes étant alors strictement interdites à bord de tels navires), il n'y avait qu'une seule chose à faire : que Rose se déguise en homme. Cheveux coupés, tenue de marin, escorte jusqu'à Toulon de nuit à l'insu de la famille... Rose se fait passer pour un homme jusque sous les yeux du Gouverneur de Gibraltar, avant de pouvoir recouvrer son apparence une fois en plein Atlantique. Ce plan audacieux fit de Rose la première femme, non pas à avoir fait le tour complet de la planète, mais à avoir fait le tour complet de la planète et à l'avoir raconté dans un journal de voyage. Au final, le navire s'échouera en 1820 aux Îles Malouines. Fort heureusement, les deux tourtereaux et leur équipe survivent et rentrent finalement en France. Mais en 1832, le choléra s'abat sur Paris. Rose parvient, avec l'aide d'un médecin ayant participé à leur expédition, à sauver Louis. Malheureusement, elle tombe à son tour malade et décède peu de temps après. Obligée de passer au milieu des officiers qui se trouvaient sur le pont, quelques-uns demandaient qui j'étais : l'ami qui nous accompagnait assura que j'étais son fils, qui est en effet à peu près de ma taille. (Rose de Freycinet, dans son Journal.) Le journal, intitulé originellement "Campagne de l'Uranie", constitue encore aujourd'hui un recueil d'une inestimable valeur anthropologique. L'original a été acquis par la State Library of New South Wales de Sydney en 2015. Et ceci rendit justice à Rose, par la restauration de documents originaux qui avaient été indûment modifiés. Louis avait pris un sacré risque en faisant monter sa femme à bord, en la déguisant en homme, en aménageant une chambre pour elle sur le navire, en prenant des mesures drastiques et non réglementaires concernant l'hygiène et la qualité de la nourriture. La rumeur se répandit après leur départ comme une traînée de poudre. Si le couple ne fut pas puni par les autorités, celles-ci firent tout pour étouffer l'affaire. Le compte-rendu officiel de Louis ne fait aucune mention de la présence de sa femme. Les autorités sont allées jusqu'à modifier les dessins originaux de Jacques Arago, l'artiste de bord en charge des illustrations. A gauche, l'original de Jacques Arago avec Rose en train d'écrire son journal, à droite l'illustration officielle sans Rose (source) : Un atoll des Samoa américaines porte tout de même le nom de Rose (Rose Atoll), depuis son passage par ces îles avec Louis en 1819. Quant au journal, sa valeur ne put profiter immédiatement à la communauté scientifique et littéraire. Suite à la mort de Rose, Louis recueillit chaque page et chaque lettre constituant le journal de sa bien-aimée et les fit copier en un volume. C'est cet ensemble qui constitue le texte actuel... publié pour la première fois en 1927. J'avais envie de vous raconter cette histoire parmi les trois sélectionnées. Et pour votre information, Rose n'a pas été la première femme à faire le tour du monde, pour la bonne raison que cet exploit avait déjà été accompli par une autre française dans les années 1760. Elle s'appelait Jeanne Barret. Elle avait accompagné son compagnon le botaniste Philibert Commerson... sous le nom de Jean Barret, déguisée en valet. C.I.D Si vous avez aimé cet article, alors vous aimerez aussi :
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