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4 Récits de Voyage Pour Votre Hiver

21/11/2017

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English version here
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Ca fait un an et demi environ que, à la maison ou sur la route, j’explore par dizaines les rayons des bouquinistes, à la recherche de récits de voyage écrits par des femmes. Cette 3ème édition de la série "4 Travel Books for Your Summer", traduite tardivement ici à l'orée de l'hiver, reflète bien ce temps passé en recherches. Pour en savoir plus sur la question des inégalités de genre dans les récits de voyage, vous pouvez lire cette traduction en français de l’article qui m’avait été commandé par Matador Network.

J’ai douloureusement conscience du fait que cette sélection est très “occidento-centrée” et très “blanche”. Disons qu’elle reflète les contextes géographiques et culturels dans lesquels j’ai trouvé ces bouquins. De nombreux projets littéraires et/ou éditoriaux, dont 4WD, tentent de changer ce genre de biais. En attendant, j’espère que vous apprécierez ces livres, écrits par des femmes issues de différents milieux et dont les cheminements ont été tout aussi différents.  

Ce post a originellement été écrit en anglais. Sur les 4 ouvrages revus ici, 2 n’ont à ce jour pas été traduits en français ; ils sont marqués d'une astérisque. Par ailleurs, les citations sont des traductions personnelles qui ne rendent sans doute pas justice au texte original. Merci de vous reporter à la version en anglais pour le visualiser.

Mary Morris, Rien à Déclarer*
Dans les années 1980, Morris quitte New York, sa vie et les fantômes qui la hantent. Elle atterrit à San Miguel, au Mexique, tout près de la frontière américaine, avec en poche un financement pour écrire un livre. Le récit décrit son installation temporaire là-bas, ses excursions en Amérique centrale et les gens qu’elle a rencontrés en chemin.  

En 2016, me voilà avec mon exemplaire en main, debout dans une librairie d’occasion de Whitehorse, au Yukon. Je grinçai alors des dents, prise d’un sentiment de sombre anticipation. Sous le titre, on pouvait lire : “Mémoires d’une Femme Voyageant Seule”. Ca semblait annoncer ce genre de bouquin où une femme américaine blanche et privilégiée cherche l’aventure dans un pays exotique, comme par hasard situé pas très loin de son domicile et où la vie n’est pas chère. Mais je décidai de laisser sa chance au bouquin. Et ce que j’ai trouvé dans ses pages n’est rien moins qu’une écriture spectaculaire.  

Nothing To Declare, c’est des sensations brutes, de la subjectivité sans filtre. C’est ce qui le rend unique, précieux. Mais c’est aussi ce qui l’a rendu très agaçant pour certaines lectrices et certains lecteurs.  Morris tisse sa narration directement à partir de son ressenti lors de ce voyage. D'un côté, elle écrit sur des événements et des gens exactement selon ce qu’elle en pensait, sans pincettes et parfois d’une manière vaporeuse, introspective, un peu "détachée". Je pense que ça reflète son style d’écriture, mais ça a pu être interprété comme la manifestation d'une certaine insensibilité. D’un autre côté, Morris développe une relation toute particulière avec sa voisine Lupe. Au fil du récit, on sent que toutes deux ont conscience du fossé culturel et social qui les sépare. Et pourtant, leur "féminitude" les lie l’une à l’autre et mène à des réflexions sur ce que c’est, que d’être une femme : une femme perdue, une femme trouvée, une femme voyageant seule en-dehors de sa zone de confort, le confort d'une citoyenne privilégiée.

J’ai sincèrement aimé ce livre pour ses qualités littéraires, son "féminisme indirect" et l’amour profond du voyage qu’il transmet. J’ai trouvé qu’il s’agissait d’un très beau spécimen de récit de voyage et je ne l’ai pas trouvé insensible du tout. J’ai pensé qu’il était franc, honnête, intrépide et personnel. C’est pour elle-même que Morris voyage et écrit. Le fait qu’il s’agisse d’une femme a sans doute nourri des attentes différentes chez les lectrices et les lecteurs. Peut-être nous attendions-nous à plus de modestie, de prudence, et de maternage ? Eh bien ce n’est pas de chance ! Voilà tout.
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Elle n'allaita l'enfant qu'une fois. Puis elle le déposa sur le seuil d'une vieille femme et l'y laissa. Après ça, elle disparut. Peut-être s'est-elle laissée emporter par le courant de la rivière. Mais moi je pense qu'elle est partie se perdre dans la sierra, où elle se cache encore, dans les collines. Elle était une femme invisible et il lui était aisé de s'échapper. Une femme sans substance, celle que personne ne voyait.

Cheryl Strayed, Wild
Inclure dans ma sélection 2017 ce best-seller international, adapté en un film qui a conquis le public, peut paraître éculé et paresseux. Je me permets d'objecter : si vous n’avez pas lu ce bouquin, je vous conseille de le lire. J’ai trébuché sur mon exemplaire alors que je traversais le Montana, pendant une pause déjeuner à Helena, la capitale. Je l’ai tenu dans mes mains et j’ai pensé, toute excitée : "Il était temps que je te lise !" Et comme avec le livre de Morris, j’ai été conquise.  

Wild est fait d’une prose lumineuse. Strayed est perdue, dans une spirale d’échecs romantiques, d’addictions, de souvenirs d’enfance traumatisants et de deuil de sa mère, morte trop jeune d’un cancer. L'histoire commence lorsque Strayed se jette littéralement sur la PCT (la Piste des Crêtes du Pacifique) pour une randonnée de plusieurs mois, mais en étant physiquement et matériellement mal préparée. Wild est son histoire, basée sur ses carnets de randonnée.

Comme Morris, Strayed a reçu des critiques très dures de la part des lecteurs mais surtout des lectrices, pour sa témérité peu conventionnelle et sa façon insolente d’être franche dans sa vie, ses sentiments, ses désirs charnels et ses doutes. Et pourtant, crucialement, c’est exactement ce qui rend son écriture si puissante.  

Toute personne ayant jamais considéré la randonnée comme un refuge, une voie vers la rédemption et la paix, devrait aller se perdre dans ce récit. Quant à vous qui voyagez depuis votre canapé avec une tasse de thé, c'est un face-à-face avec l'aventure qui vous attend. Un face-à-face avec la nature sauvage d’Amérique du Nord et avec une humanité sans filtre. Bref, un face-à-face avec la vie.
​C'est dans l'incertitude que j'avançais, mais je sentais que j'avais raison d'avancer, comme si l'effort lui-même avait un sens. Comme si le fait d'être au beau milieu d'une nature magnifique et inviolée signifiait que moi aussi je pouvais être inviolée, comme si cela effaçait les choses regrettables que j'avais faites aux autres et les choses regrettables que je m'étais faites à moi-même. De toutes les choses au sujet desquelles j'avais été sceptique, je n'éprouvais aucun scepticisme pour celle-ci : la nature avait une clarté qui m'incluait aussi.
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Brianna Karp, Le guide de la vie de SDF pour les filles*
Ellensburg, Etat de Washington. J’ai attrapé cet exemplaire étrange, avec son design surprenant, son logo "Harlequin" sur le quatrième de couverture et ses pages épaisses aux tranches mal découpées. La snob en moi a hésité. J’ai lu le synopsis et j’y ai appris que l’autrice avait vraiment été sans domicile fixe. J’avais déjà lu Voyages avec Lizbeth* de Lars Eighner. Ca avait été une expérience bizarre, chaotique, mais haletante. Le récit de Eighner m’avait semblé étranger à l’époque, ce qui m’avait fait me questionner sur mes propres privilèges de citoyenne de classe moyenne. Cette fois, l’auteur était une autrice, ce qui m’a décidé à acheter l’exemplaire.

Au final, je ne peux pas dire que j’ai été "littérairement conquise". Karp livre un compte-rendu mal dégrossi et sans fioritures de son expérience. Son histoire implique de nombreux traumatismes : violences physiques, troubles mentaux, pauvreté, chômage. Parfois, en la lisant, on se demande avec incrédulité si certains événéments se sont vraiment produits ou si Karp les invente de A à Z. Quand j’ai fini le livre, je suis restée assise un moment face à lui, en silence. J’avais été prise et surprise, atterrée, dépitée, mal à l’aise, sceptique. C’est alors que ça m’a frappée : tout ça, ce n’était pas une histoire de littérature, de raison ou de vérité parfaitement objective. Tout ça, c’était une histoire d’humanité. Des voix comme celle de Karp sont rarement entendues. Qui donc prête l’oreille aux vagabonds, aux personnes atteintes de troubles mentaux, aux victimes d’abus, aux instables, aux pauvres, aux délirants, à ceux qui un jour, pour une raison ou une autre, se sont retrouvés à devoir lutter ?
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Si vous êtes SDF et habitez dans votre véhicule, vous comprendrez rapidement qu'il vaut mieux vous trouver un endroit isolé pour vous garer, puisqu'il est illégal de dormir dans votre propre véhicule personnel. C'est une règle stupide. Vous pouvez manger dans votre voiture, écouter de la musique dans votre voiture, rester assise là pendant des heures et lire dans votre voiture, mais dormir dedans ? La police vous collera ni une ni deux l'étiquette de "vagabond" et vous demandera gentiment de dégager.

Virginia Woolf, La Traversée des Apparences
Comme j’aime mon exemplaire ! Je l’ai trouvé à 5 minutes de mon domicile actuel à Lyon. Il a toujours sa jaquette Hogarth Press, dessinée par Vanessa Bell, la soeur de Virginia Woolf. La Traversée des Apparences est une fiction, mais elle mérite néanmoins de faire partie de cette sélection annuelle. C’est le premier roman de Woolf et il raconte l’histoire de Rachel, une femme qui embarque sur un navire en partance de Londres et en direction de l'Amérique du Sud, où elle expérimente les espaces sauvages, la liberté et les stimulations intellectuelles.

Cette fiction est l’occasion pour Woolf de commenter, parmi d’autres questions sociales, la place des femmes dans l’espace public et dans l’espace privé. La Traversée des Apparences, que vous trouverez dans la plupart des librairies en France, est beaucoup moins insolent que sa version d'origine, qui porte le titre de Melymbrosia. Woolf a dû ré-écrire le texte, parce qu’il n’était pas acceptable à l’époque qu’une femme se permette de critiquer si ouvertement la politique de l’Angleterre edwardienne.  

Comme dans beaucoup de romans de Woolf, la voix de l’autrice sort par la bouche de plusieurs personnages, parfois des hommes, parfois des femmes. J’ai tourné les pages comme dans un rêve et j’ai écouté chacun d’entre eux et chacune d'entre elles. Ils et elles sont, en miroir, la famille, les amis, le cercle littéraire de Woolf. Par le biais de ce voyage, tous ces personnages expriment leurs opinions. Et aujourd’hui encore, leurs voix résonnent.
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Considérez simplement ceci : nous sommes au début du XXème siècle, et jusqu'à il y a quelques années aucune femme n'était sortie de l'ombre et n'avait dit quoi que ce soit. Voilà ce qui se passait à l'arrière-plan, pendant tous ces milliers d'années, cette vie curieuse, silencieuse, et non représentée. Bien sûr nous sommes toujours en train d'écrire à propos des femmes - à les malmener, à les moquer, à les idolâtrer ; mais ça n'est jamais venu des femmes elles-mêmes. Je crois sincèrement que nous n'avons toujours pas la moindre idée de comment elles vivent, de ce qu'elles ressentent, de ce qu'elles font, précisément. Si on est un homme, les seules confidences que l'on reçoit proviennent de jeunes femmes au sujet de leurs amourettes. Mais la vie des femmes de 40 ans, des femmes non mariées, des femmes qui travaillent, des femmes qui tiennent des échoppes et élèvent des enfants, des femmes comme vos tantes ou Mme Thornbury ou Mlle Allan - on ne sait rien du tout à leur sujet. Elles ne vous diront rien. Soit elles ont peur, soit elles ont développé une certaine façon de traiter les hommes. C'est le point de vue des hommes qui est représenté, voyez-vous. Figurez-vous un train : quinze wagons, tous pensés pour des hommes qui veulent fumer. Est-ce que ça ne vous fait pas bouillir le sang ? Si j'étais une femme, je ferais sauter la cervelle de quelqu'un. Est-ce que vous ne vous moquez pas beaucoup de nous ? Ne pensez-vous pas que tout ceci n'est qu'une vaste fumisterie ? Vous, je veux dire. Comment est-ce que cela vous frappe ?
C.I.D

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